Beaucoup d’humains voient la vie de façon dualiste; beau, laid; noir, blanc; fort, faible… Dans cette optique, tout dans l’univers semble s’opposer, être détaché les uns des autres. Cette Vision des choses peut-elle être une voie plausible pour comprendre le sens de la vie ? Pour y réfléchir, voyons le dualisme à l’image d’une opposition que tous connaissent bien, celle du lever et du coucher du soleil. Le phénomène semble des plus réel, et pourtant, c’est une illusion. Le soleil ne se lève ni ne se couche, c’est la terre qui tourne. Ce que nous prenons pour une certitude est une impression. Une conséquence plus qu’un fait, que l’on décode faussement, question d’échelle et de point de vue. Les oppositions sont des apparences tenaces qui s’imposent à nos esprits.
Cinq cents ans avant Jésus-Christ, le philosophe grec Anaxagore[1] écrivait, « Tout est mêlé dans tout ». Cette vision globale, malgré les apparences ne s’oppose au dualisme, elle le complète et traduit bien ce qui motive Marie-Josée Roy comme artiste multidisciplinaire et simplement comme être humain.
Marie-Josée Roy pratique deux disciplines, la peinture et la sculpture. Ces disciplines ne sont pas des entités [réalités] indépendantes. Elles sont liées entre elles, à l’artiste, à son environnement, aux matériaux, à celui ou celle qui regarde, à tout cela à la fois. Le dénominateur commun entre les deux expressions est le métal, une matière pour laquelle elle s’est découverte une affinité spontanée il y a maintenant près de vingt-cinq ans, au début de sa carrière professionnelle.
Avec les années, une aisance, voire une familiarité s’est développée vis-à-vis la technique. Ce confort acquit par l’expérience aurait pu être une fin en soi, d’autant que la maitrise d’un métier est déjà un dur et noble objectif à atteindre. Cependant, pour Marie-Josée Roy, cette dextérité acquise devient un levier lui permettant d’approfondir son questionnement sur l’esthétisme et, par ricochet, sa propre quête de sens.
Empreint de poésie et de spiritualité, son art donne vie à des espaces dans lequel le symbolisme foisonne. Pour sa peinture, la forme reconnaissable, généralement la figure humaine, est issue de transfert photographique à laquelle elle jumelle une vive gestuelle abstraite. Sa façon de placer son sujet sur la surface, dans des mises en contexte où interagissent, statisme et mouvement évoque la complicité.
Pour sa sculpture, la figure humaine domine toujours bien qu’ici stylisée est jointe à des éléments reconnaissables tels que, plumes, ailes, roses, racines, branches… Tiges surmultipliées et même des lumières. Ces associations hétéroclites plongent le spectateur dans des ambiances solennelles, puissamment symboliques. Énigmatiques, il en résulte une interrogation plutôt qu’une explication, l’artiste ne proposant aucun dénouement, mais plutôt, un questionnement poétique ayant comme pivot le réel. Celui que l’on perçoit certes, mais davantage encore celui que l’on pressent. Le visible n’étant pas une notion figée dans l’espace.
Dans sa peinture tant que dans sa sculpture, elle cherche à exprimer une densité par une simplicité de moyen. « Je suis subjuguée par la force du trait de [Pierre] Soulage. D’un seul geste, il traduit une force expressive qui lie tout. » Et pour compléter l’image, ces mots de Jean Paul Riopelle auraient pu tout aussi bien être les siens, « Il n’y a pas d’abstraction : il n’y a que de l’expression, et s’exprimer, c’est se placer en face des choses. Abstraire, cela veut dire enlever, isoler, séparer, alors que je vise au contraire à ajouter, approcher, lier. »[2]
Ce besoin d’ouverture et de globalisation l’amène naturellement à travailler en collaboration avec d’autres artistes. Ainsi, dans sa peinture, depuis 2010, elle invite, Jérôme Prieur à intervenir au burin pour certaines œuvres. Les motifs qu’il grave alors sur la plaque de métal apportent avec délicatesse et justesse une dimension esthétique qui fait corps avec l’œuvre de Roy. Pour sa sculpture, elle collabore avec Jeff Alarie, particulièrement pour des motifs végétaux ainsi qu’avec Yann Normand sans oublier le photographe Martin Rondeau. Des complicités qui, juxtaposées à la dimension spirituelle des œuvres ne sont pas sans liens avec l’art Roman dont l’esprit collaboratif était un pivot sinon une raison d’être.
La vision artistique globale de Marie-Josée, conduite à un tel niveau est rarissime dans l’univers actuel des arts visuels. Jordi Bonet et quelques rares autres l’ont pratiqué. Ce qui place cette singulière artiste dans une classe à part. Une démarche artistique qui séduit autant qu’elle questionne. Du grand art qui se conjugue à tous les temps.
Robert Bernier
[1] Voir aussi, Anaxagore, Une philosophie « systémique » de l’un et du multiple sur universalis.com
[2] Guy Robert, Riopelle, Chasseur d’images, page 272. Éditions France-Amérique, 1981.